Présentation et bilan de la résidence territoriale d’artiste du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis (93) au lycée Jean-Jacques Rousseau de Sarcelles (95), année scolaire 2014-2015.
Article rédigé par Amélie Beaufour, Ingrid Benel et Aurélie Gellé (professeurs de Lettres modernes)
Les élèves de l’atelier saluent le public après leur restitution au TGP
Objectifs du partenariat
- Il s’agit dans un premier temps de prolonger le partenariat fructueux noué avec le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis (un article présente la précédente résidence : Une saison au théâtre) et de le faire évoluer vers un nouvel aspect. Depuis deux ans, le partenariat consistait en un atelier d’écriture critique avec Joëlle Gayot, journaliste de théâtre, il s’est orienté pour l’année 2014-2015 vers un atelier de pratique théâtrale contemporaine mené par le Collectif In Vitroqui travaille l’écriture de plateau. Ce partenariat proposé par le TGP s’est trouvé correspondre à la demande de certains élèves qui se présentaient pour les castings précédents avec l’envie de jouer.
- Dans un second temps, il s’agit de faire continuer à vivre le dispositif mis en place précédemment au lycée et qui a démontré son efficacité : trois classes de 1ES suivent un parcours de trois spectacles au TGP (sur la saison 2014-2015, les trois classes ont assisté aux représentations de La Bonne Âme de Se-Tchouan, Berliner Mauer : Vestiges et Les Trois Sœurs). Dans ces trois classes, quinze élèves, après avoir été choisis lors d’un entretien de motivation, participent à l’atelier qui a lieu une fois par semaine sur un créneau d’Accompagnement Personnalisé de deux heures, et vont voir trois spectacles supplémentaires (Nous sommes seuls maintenant, Exhibit B, Les Optimistes). Ce dispositif tire son efficacité du rôle d’ambassadeurs des élèves de l’atelier dans leurs classes respectives.
Objectifs pour les élèves
- Le Collectif In Vitro travaille l’écriture de plateau : les comédiens improvisent à partir de situations proposées par le metteur en scène ou d’objets apportés par les comédiens (musiques, photographies). Ces improvisations sont retravaillées sur le plateau, épurées pour n’en garder que les aspects les plus porteurs de vérité. Rien n’est rédigé ni couché sur le papier par les comédiens, seul le metteur en scène garde quelques notes. La répétition au fil des semaines tend vers une narration qui construira le spectacle.
- De cette écriture théâtrale contemporaine, les enseignantes ont dégagé plusieurs objectifs pour les élèves. Le premier d’entre eux est de constituer une troupe à partir de profils d’élèves aux expériences diverses. L’essentiel du travail porte donc sur les capacités d’écoute : écoute des consignes du metteur en scène, écoute des élèves les uns envers les autres, sur le plateau lorsqu’ils jouent, et dans le public lorsqu’ils sont spectateurs d’une saynète.
- Le second objectif est de faire prendre conscience de la notion de répétition, nécessaire à l’amélioration d’un premier jet, qu’il soit de l’ordre de l’écriture de plateau, ou d’un écrit plus scolaire. Dans le cadre de l’écriture en classe, le « propre », le résultat final, n’est pas le simple recopiage d’un « brouillon », d’un premier jet. Il s’agit au contraire d’un travail de ré-écriture, de reformulation, que l’écriture de plateau permet de mettre en lumière.
Une fois le cadre d’écoute et de jeu mis en place du mois d’octobre au mois de décembre, peut commencer le véritable travail d’écriture collective qui a eu lieu à la onzième séance, au mois de janvier. Tous en cercle, avec deux comédiennes du Collectif In Vitro, les élèves s’essayent à la construction d’une narration. Il s’agit, note Julie Deliquet, metteure en scène du Collectif d’ « essayer de construire une histoire ensemble », de se poser la question de « comment ça s’écrit ? ». Tour à tour, les élèves proposent les personnages qu’ils veulent interpréter. L’ histoire prend sa source dans une situation sur laquelle ils avaient déjà improvisée : la disparition d’un de leurs camarades. Les deux comédiennes avaient proposé lors de la séance précédente comme base d’improvisation un extrait de ADN de Denis Kelly, texte dans lequel un jeune adolescent subit le harcèlement d’autres élèves. Lors du tour de table, chaque élève choisit concrètement un prénom, un lien avec le personnage disparu et un enjeu pour son personnage, ce qui donne une idée de la distribution finale :
Melis : Céline, élaboratrice du plan
Amelle : Maxime, l’amie d’Eliot
Faty : Eva, l’organisatrice de la soirée et relai du plan
Ihabe : Anna, petite amie d’Eliot
Manouska : Maeva, ex petite copine d’Eliot
Mihaëla : Alina, la sœur d’Eliot
Elodie : Brenda, la nouvelle
Mouna : Rachel, la révélation
Abdel : Massi, le flic
Sekhou : Sekhou, chef de bande
Sciortino : Sciortino, l’espion
Mathieu : Yoan, le délégué de classe
Adrian : Sébastien, l’ami d’Eliot
Martin : Alex, le rival d’Eliot
Claudiu : Ferhat, l’ami d’Eliot
Une fois le système des personnages choisi, les élèves peuvent réfléchir sur les enjeux narratifs de leur pièce : quels sont les lieux dans lesquels vont se dérouler les actions ? Quelles sont les différentes scènes ? Combien de scènes ? Comment s’enchaînent-elles ? Qui joue ? Toute la logique de la construction narrative s’enclenche et des questions de dramaturgie surgissent. Comment captiver le spectateur, lui délivrer assez d’informations afin qu’il comprenne, sans pour autant tout dévoiler ? Ce travail a particulièrement intéressé les élèves, d’autant que l’absence de trace écrite a permis la profusion d’idées.
Les séances qui suivent sont consacrées à l’écriture de plateau, entre répétitions et réflexions sur la logique de la narration.
Sur l’invitation de la restitution finale, on peut lire ce texte de présentation :
flyer de la restitution
« ELIOT - Collectif In Vitro
création collective librement inspirée d’ADN de Dennis Kelly dirigée par Julie Deliquet et Pascale Fournier avec la complicité de Jean-Christophe Laurier et Eric Charon
avec Melis, Amelle, Faty, Ihabe, Manouska, Mihaëla, Elodie, Mouna, Abdel, Sekhou, Sciortino, Mathieu, Adrian, Martin et Claudiu.
Eliot a 17 ans et vit à Sarcelles. Retour ligne automatique
Eliot a disparu depuis plusieurs jours dans des circonstances mystérieuses…Retour ligne automatique
Qui sait quoi ? Qui était présent le dernier soir où Eliot a été vu ?
Nous allons interroger ses amis, sa famille et ses camarades de classe afin de remonter le fil jusqu’au fameux soir du drame.
Quinze jeunes comédiens amateurs dirigés par le collectif In Vitro vont écrire au plateau à partir d’improvisations collectives. La partition de chacun dépendra de celle des autres, ils partiront de leur réel pour, ensemble, donner vie à une fiction. L’adolescent et le personnage, le réel et l’improvisation chercheront à ne faire qu’un. »
Les répétions et les questionnements ont permis aux élèves d’atteindre l’objectif le plus évident pour les enseignants qui veulent faire pratiquer le théâtre à leurs élèves, à savoir la compréhension par l’expérience de l’objet d’étude « Le texte théâtral et sa représentation ». A travers la gestion des entrées et des sorties des personnages, à travers la lumière (une scène plus tamisée, plus intime se déroulait dans un commissariat), à travers le décor et les accessoires (une scène représentait le réfectoire, et pour faire vrai, il a fallu se procurer les plateaux et les repas de la cantine. Les élèves mangeaient donc sur scène), les aspects scénographiques du texte théâtral ont été abordés.
Mouna et Abdlafid, dans la scène du commisariat
- Enfin, dans le cadre d’une liaison collège/lycée, une classe de 4e du collège Voltaire avec un projet théâtral est venue assister à deux ateliers et à la restitution finale au lycée. Lors des séances, un temps d’échange entre lycéens et collégiens a été aménagé. Quelques lycéens sont, en retour, allés voir le spectacle des collégiens.
Bilan et perspectives
- Contrairement aux années précédentes, et parce que le travail était en cours de production, il n’y a pas eu de restitution à mi-parcours, en décembre ou janvier. Nous n’avions pas envisagé que l’absence de passage à la scène ferait défaut à la motivation des élèves qui, courant janvier, nous ont avoué qu’ils avaient du mal à voir où les menait tout ce travail. Nous avons remédié à cette difficulté par des répétitions au théâtre, dans la salle Mehmet Ulsoy dans laquelle les élèves ont joué quelques mois plus tard.
- Cette restitution au TGP a été suivie d’une représentation au lycée, dans une salle de cours. Il a fallu réaménager l’espace théâtral, qui n’avait pas les mêmes contraintes que la salle au TGP. Les élèves ont été confrontés à l’essence même de l’improvisation puisqu’ils ont dû adapter leurs déplacements et leurs « textes » à ce nouvel espace. Cette deuxième restitution s’inscrivait pleinement dans les objectifs de l’écriture de plateau qui ne fixe aucune représentation : chaque spectacle est un événement en soi.
Le fait qu’il y ait eu deux restitutions, dans deux lieux différents, a permis de toucher des publics variés : par rapport aux autres années, de nombreux parents se sont déplacés, de même que les équipes pédagogiques et des élèves issus de toutes les classes du lycée. Certains sont même venus aux deux spectacles, expérimentant alors les différences entre les représentations. Une mère d’élève a même demandé une suite à Eliot, personnage éponyme.
Abdelafid et Amelle dans la scène du commissariat
- On peut saluer l’investissement des quinze élèves de l’atelier qui ont pris leurs rôles très à cœur, notamment dans la construction des « réels » : courtes vidéos diffusées durant le spectacle dans lesquelles les élèves filmaient les réactions d’un proche à la question « Comment tu réagirais si je disparaissais ? », véritables percées dans leurs univers, brouillant la frontière entre fiction et réalité. Dans cette recherche du vrai, un duo d’élèves s’est également déplacé au commissariat de Villiers Le Bel pour interroger un policier sur ses méthodes de travail et d’interrogatoire.
- On peut dégager trois axes du bilan fait par les élèves. Tout d’abord, tous soulignent la confiance acquise à l’oral et leur envie d’aider les plus timides ; une élève parle plus largement d’avoir gagné dans sa « capacité à faire ». Ensuite, ils confient que leur vision du travail du comédien a été modifiée : il ne s’agit pas « d’apprendre et réciter » mais d’un long travail de préparation. Leur vision du théâtre a également évolué. Ce n’est plus un spectacle, « incompréhensible » avoue l’une des participantes. Enfin, le dernier axe, qui serait à travailler d’après les élèves et d’après notre bilan d’enseignantes, est l’influence de l’atelier sur les classes entières de Premières ES, qui a été moindre cette année. Nous l’expliquons par une dimension moins réflexive : peu de moments ont été consacrés aux retours sur les spectacles vus. C’est pourquoi pour l’année 2015-2016, nous revenons à un atelier autour de l’écriture critique, et le premier spectacle vu dans le cadre de l’atelier par les nouveaux élèves intégrant le projet, mais aussi les anciens de l’atelier, est la dernière création du Collectif In Vitro,Catherine et Christian.Depuis trois ans, ce projet de résidence territoriale d’artiste en milieu scolaire a largement contribué à revaloriser la section ES dans notre lycée et nous tenons à remercier le Théâtre Gérard Philipe et sa chargée de relations avec le public, Caroline Foubert-Gauvineau, la DRAC Ile-de-France, et la DAAC représentée lors de nos comités de suivi par Hélène Lajournade et Patrick Souchon. Enfin, la réalisation de ce projet doit beaucoup à nos chefs d’établissement, Philippe Bonneville et Annie Denibas.
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